vendredi 29 juillet 2016

Le procès de l'Art (Ernest Archdeacon)

AVERTISSEMENT DU TRADUCTEUR : Ce texte fut vraisemblablement rédigé en 1934 en Espéranto mais sa première publication date du 2015-01-01 dans La Gazeto n°175. Ceci n’est qu’une proposition de traduction en français.
Jean-Pierre Cavelan
Il est intéressant dans la mesure ou il témoigne d’une attitude face à l’Art de la part d’un homme intelligent, sincère et idéaliste. Il contient des erreurs mais « Eraro homa estas nur persisti diablas »

LE PROCÈS DE L’ART
Vous savez sûrement, chers «samideanoj»(samideanoj = camarades espérantistes) , que durant ma vie entière, j’ai constamment combattu soit pour le progrès, soit contre tous les préjugés nocifs.
À l’heure actuelle, je pense critiquable une inclination excessive et inappropriée à l’art de nos compatriotes, alors qu’une crise afflige le monde.
Le besoin principal de l’homme est de se nourrir et de s’habiller et potant, une incroyable multitude d’artistes gâche vainement d’immenses surfaces de toiles à produire des peintures presque toujours pleines de démence, tandis que d’innombrables écrivains gaspillent des tonnes de papier : Ils feraient mieux de cultiver des pommes de terre, légumes ou d’élever de la volaille, ce qui leur procurerait de quoi vivre puisque leurs œuvres invendues ne risquent pas de les nourrir.
Pendant la crise actuelle nous devons avant tout, produire les denrées nécessaires.
Je provoquerai d’inévitables protestations indignées parmi ceux qui se nomment artistes, en défendant cette thèse que l’art est un rêve, une illusion sans réalité d’aucune sorte, et une utilisation détestable de l’activité humaine. Son développement dans une nation, au détriment de la science, est un signe de dégénérescence et non de progrès.
Les hommes s’efforcent toujours de perfectionner leurs conditions d’existence sur une planète très souvent inhospitalière où le hasard les a placés.
Les scientifiques, constamment tournés vers le réel, ont consciencieusement exploré les murs de notre prison terrestre, l’on améliorée par un travail méthodique et patient.
De fait ils ont réussi à allonger la vie, à accroître le confort, la production agricole, etc… les artistes au contraire, ne connaissent pas les recherches méthodiques, ils n’expriment par le pinceau, le ciseau ou la plume que leurs « rêves » personnels, ne voulant le plus souvent, que s’imposer à leurs contemporains.
Pourquoi donc les critiques créèrent-ils cette locution insignifiante : « Les règles de l’Art » ? L’assemblage de ces deux mots est une évidente absurdité.
L’Art n’a jamais eu, ne pourra jamais avoir de règles : Il aura toujours différentes formes selon les divers cerveaux humains.
Les critiques sur l’art sont aussi illogiques que la préférence d’une femme ou d’un sport.
Tous les passionnés d’art sont pris dans une hallucination collective comparable à ces fakirs tourneurs, qui sous l’emprise d’une excitation religieuse, l’inhalation de parfums enivrants, etc… finissent par tourner ensemble sans comprendre ni savoir pourquoi.
Il est amusant à l’extrême de voir la manière actuelle de penser des hommes qui détestèrent violemment Wagner quand sa musique fut importée en France. Les mêmes, peu de temps après, le décrétèrent le plus grand génie de l’humanité, et, nièrent à nouveau son génie, parce qu’il avait commis le crime d’être d’origine allemande.
On constata une « comédie » analogue avec le musicien Bizet, à l’occasion du formidable bide de Carmen, dont le mérite inégalable est proclamé de tous aujourd’hui.
Puisque nous parlons musique, est-ce que nous ne constatons pas aujourd’hui que les instruments mécaniques remplacent presque partout les artistes.
Vous m’objecterez peut-être que les machines ne reproduisent que des airs ou des pièces musicales précédemment chantées ou jouées par les artistes : Je réponds, que, très souvent les artistes ne sont plus nécessaires.
Longtemps avant le perfectionnement des phonographes, on fabriquait de nombreux pianos ou orgues mécaniques fonctionnant sans l’intervention d’un musicien, parce que les notes musicales étaient directement transcrites soit par des cartons convenablement perforés, soit par des clous fixés sur un cylindre spécial.
J’ajouterai que ces instruments peuvent atteindre dans le jeu, une maîtrise et une rapidité absolument inégalable pour un interprète humain quel qu’il soit : Celui-ci n’a que dix doigts, alors que les machines en possèdent un nombre illimité, et, par ailleurs, elles ne sont nullement gênées, comme la main humaine, qui ne permet d’atteindre qu’une amplitude maximum de dix notes.
Si l’Art avait une réelle existence, il aurait des règles devant lesquelles tous se plieraient : on ne pourrait pas plus discuter la beauté d’une œuvre artistique que du carré de l’hypoténuse. Et, au contraire, nous voyons les amateurs d’art divisés en deux partis complètement inconciliables.
En examinant maintenant la peinture, nous constatons les mêmes désaccords.
Un jour, pour le peintre Bouguereau, la moitié de la France déclara qu’il avait un énorme talent, un autre jour qu’il n’en avait plus aucun.
Tout le monde connaît l’histoire du peintre Millet qui ne connu sa vie durant aucun succès et mourut dans la misère. Maintenant ses peintures, comme l’Angélus, ont été vendues un million et plus.
– Meissonier, au contraire, connut la gloire de son vivant, maintenant ses œuvres ont perdu presque toute valeur. La même chose s’est produite pour le fameux Édouard Detaille, etc…
– Claude Monet, Manet, Picasso, etc. ont souvent été refusés dans les salons officiels, ils jouissent maintenant d’un formidable succès. Qui avait raison ? Les amateurs d’hier ou ceux d’aujourd’hui ?
De nouveau, je raisonnerai comme pour les musiciens. Les peintres peinent à reproduire la nature et je prétends que les photographes modernes et les cinéastes, à l’aide de la seule lumière, en un centième de seconde, réalisent des images plus parfaites que le les peintre les plus fameux actuels au bout de laborieux efforts. Je préfère sans hésiter, commander à n’importe quel photographe parisien, qu’au célébrissime Van Dongen, par exemple. J’aurais une certitude de ressemblance au modèle bien meilleure, et du même coup réaliserais une appréciable économie.
Nous voyons aussi tous les jours, sur les écrans de cinémas, d’admirables paysages bien supérieures selon moi à toutes les peintures connues. Maintenant des films en couleurs sont splendides. Cucaracha-kriterio (Techni-color) se rapproche de la nature.
Il est étonnant que les artistes ne délaissent pas l’art en grand nombre car ils ont entendu cent fois, même de la part de confrères, qu’ils ne vaudront jamais rien comparés aux artistes de la Grèce antique, datant de trente siècles.
Tous, presque à l’unanimité en conviennent, nos plus fameux peintre et sculpteurs ne peuvent en aucune manière rivaliser avec Apelle et Phidias. Quel découragement pour les artistes actuels !!
D’ailleurs en art, la mode se fait de plus en plus changeante, les artistes doivent deviner la tendance de demain. C’est une loterie de pur hasard.
Vous connaissez bien l’actuelle querelle entre les peintres modernes et les traditionalistes. Les premiers maintenant, ne sont assez d’avant garde et sont complètement dépassés par les cubistes, dont la clientèle augmente.
Dans la littérature, les mêmes désaccords se retrouvent. Vous savez que le poète français François Coppée, qui devint académicien, fut considéré par la majorité de nos littéraires comme n’étant à peine capable de faire des vers que pour des comptines, que Georges Ohnet, dont les romans atteignaient les plus grands tirages enregistrés en France, était considéré, dans le milieu littéraire comme une ridicule nullité.
Vous savez aussi que Paul Valéry depuis peu est devenu membre de l’Académie Française, alors que la majorité de nos compatriotes et moi même considèrent que ses vers sont complètement incompréhensibles.
De la même manière notre gouvernement a attribué à la poétesse comtesse de Noailles, récemment décédée la croix de Commandeur de la légion d’honneur, le plus haut grade jamais attribué à une femme. Bien que ses poésies, dans leur majorité, sont impossibles à comprendre.
Un jour , on reprocha aux poètes comme Maeterlink, Verlaine, Mallarmé, etc… leur incompétence, c’est pourquoi les générations actuelles doivent solennellement demander pardon et réparer le malentendu des prédécesseurs.
Parlons un peu de l’art des toilettes féminines : Pourquoi jugeons-nous grotesque ce que nous avons considéré autrefois admirable au plus haut point ? Il y a peu on admirait les femmes aux tailles de guêpe et par contraste, pourvues d’énormes fesses et poitrines. Ce qui vait pour conséquence de les amener à se serrer la taille jusqu’à la suffocation : Il s’en suivit chez elles, de très graves maladies. Elles ajoutaient à leurs postérieurs et poitrines des rembourrages et un jour adoptèrent la crinoline. De nos jours, elles sont obligées de se faire plates comme des limandes. Où est la vérité ???
Mais encore : Vous pensez sans doute que les plus beaux types féminins sont en Europe, peut-être en France ?
Qu’est-ce qui vous prouve que la véritable beauté ne réside pas chez les hottentotes, qui ont, dans le monde, la réputation pleinement méritée de posséder d’admirables reliefs mammaires et fessiers. On peut légitimement en déduire que les européennes sont les produits dégénérés de notre vieille civilisation leur ayant fait perdre les reliefs des reliefs naturels que les hottentotes ont fièrement conservés.
Autre exemple : Il y a quelques temps on se querellait sans fin à propos de l’esthétique des automobiles : Tous les artistes rabâchaient qu’un cheval artificiel serait nécessaire à l’avant pour amoindrir leur abominable laideur. Combien cette thèse nous apparaît stupide aujourd’hui !
Quand comprendra-t-on à la fin, que l’esthétique théorique ne peut exister, que la seule indiscutable beauté d’un objet est la parfaite conformité à ses futurs services : Cette conformité ne sera connue qu’après un complet perfectionnement. Maintenant, il semble que pour les automobiles, on atteint une forme définitive qui se rapprochet le plus possible de celle de l’obus, pour une parfaite pénétration dans l’air : Ces formes sont imposées par les scientifiques, contre les artistes, obstinés dans leurs antiques et irrationnels concepts.
Personnellement je ne comprends l’art que comme un auxiliaire de la science.
Le scientifique définit les meilleures formes pour l’objet, en fonction de son usage et l’artisant le réalise selon ces définitions avec toute sa capacité artistique.
De la même manière, je ne comprends pas les littérateurs qui ne se préoccupent de l’art que pour lui même, et dont les œuvres n’ont pas pour but la vulgarisation d’un progrès scientifique ou social. Malheureusement, cette préoccupation semble de plus en plus rare chez nos auteurs modernes.
Je conclus :
Puisque nos artistes eux même constatent qu’ils n’ont en rien progressé en comparaison de ceux qui vivaient avant le Christ on est inévitablement conduit à rayer l’Art de la liste des connaissances humaines dignes d’être cultivées.
Au contraire, personne ne me prouvera que l’aviation et la téléphonie sans fil ont été découvertes avant le début de notre ère.
Ce que l’on nomme art n’est qu’un rêve des hommes, peinant pour améliorer nos conditions de vie terrestres. Ne pouvant résoudre par une recherche scientifique, les graves problèmes de notre existence, il essaient de trouver, par un art, une solution rapide : Ils espèrent diminuer les misères de notre vie actuelle en lui d’imaginaires améliorations. Ils essaient ainsi, de masquer les regrettables imperfections de notre pauvre humanité.
En fait, les artistes ne représentent les objets qu’en fonction de l’embryonnaire état de la science humaine qui n’a pas encore fixé mathématiquement leurs formes les plus parfaites.
D’ailleurs, il est indéniable que les artistes, en peinture, littérature, poésie, etc. sont le plus souvent conservateurs, à quelques rares exceptions près.
J’ai souvent essayé de démontrer à des écrivains célèbres, l’énorme intérêt de l’espéranto jusque dans leur spécialité littéraire et je me suis toujours heurté à leurs cerveaux hermétiquement clôts et systématiquement aveugles devant ce progrès évident.
Notre fidèle ami Rodo, qui parmi les artistes, est une notable exception à cet attristant constat, pourra sans doute nous dire s’il s’est, oui ou non, souvent efforcé de rallier quelques uns de ses confrères à notre cause et de dénombrer ses succès à cet égard. Sa liste ne sera sûrement pas longue.
Il est indubitable que les progrès incessants de la science nous conduiront à l’établissement d’une forme unique pour tous les objets utilitaires en les adaptant à leur usage. L’art est un hochet pour l’enfance de l’humanité, mais demain art et une utilité scientifique se fondront en un alliage. L’art ne progresse en aucune manière, quand la science marche à pas de géant en suivant une progression géométrique.
Petit à petit, toutes les sciences, maintenant très diverses, se réuniront en embrassant tous les arts qui sont leur forme embryonnaire. La science offre déjà un grand nombre de solides marches d’escalier, que les scientifiques du monde entier escaladent avec un étonnant succès.
S’élevant d’un progrès à l’autre, par un travail laborieux de plusieurs siècles les hommes atteindront la science intégrale, ce que Dieu était pour les croyants, le symbole inatteignable jusque là. Et vraisemblablement ils réussiront à s’asseoir à sa droite.
Ernest Archdeacon
Pour en savoir plus sur son auteur :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ernest_Archdeacon
Pour visionner l’article original en esperanto on peut aller ici
http://esperantumado.blogspot.fr/2016/07/la-proceso-de-larto.html
Pour obtenir la revue La Gazeto
http://osiek.org/lagazeto/fr.html
Pour lire ma réaction sur ce blog
https://kavlanblog.wordpress.com/2016/07/14/reaction-au-proces-de-lart/
Mia reago en esperanto lokiĝas ĉi tie
http://esperantumado.blogspot.fr/2016/07/reago-mia-al-la-proceso-de-larto.html
Pour me retrouver dans mon atelier de peinture
http://www.yanpetro-kavlan.fr
Ce texte fut vraisemblablement rédigé en 1934 en Espéranto mais sa première publication date du 2015-01-01 dans La Gazeto n°175. Ceci n’est qu’une proposition de traduction.
J’invite les espérantophone à m’aider à améliorer ma traduction.

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